LES CINEMATHEQUES

JEAN COCTEAU CINEASTE



Formation

Jean Cocteau a grandi avec, et en même temps que le cinéma (terme auquel il préféra toujours celui de cinématographe). Son enfance et son adolescence furent marquées par la découverte des films de Méliès. Plus tard, ceux sont les maîtres du burlesque américain (Keaton, Chaplin) qui exercèrent sur lui une influence déterminante. Bien qu'il n'ait jamais reçu la moindre formation technique, dès la fin des années 10, il laisse transparaître dans son oeuvre littéraire une écriture de type cinématographique.

Carrière au cinéma

"Ma prochaine oeuvre sera un film", note Cocteau à la fin d'Opium, journal d'une désintoxication. De fait, en 1930, à 40 ans révolus, Cocteau passe à l'acte cinématographique avec Le Sang d'un poète, expérience de cinéma en liberté qu'il rêvera toute sa vie de renouveler. L'œuvre est une commande du Vicomte de Noailles (à l'origine un dessin animé) qui lui laisse totale liberté quant au choix du sujet et à la forme d'expression. Expérience a priori sans lendemain, puisque Cocteau mettra dix ans avant de revenir au cinéma, par le biais de l'écriture d'abord (scénariste, adaptateur, dialoguiste) pour des réalisateurs aussi divers que Marcel L'Herbier (La Comédie du bonheur, 1940), Serge de Poligny (Le Baron fantôme, 1942), Jean Delannoy (L'Eternel retour, 1943), Robert Bresson (Les Dames du bois de Boulogne, 1944). C'est au prix de mille difficultés économiques et techniques qu'il parvient à réaliser lui-même, en 1945, La Belle et la Bête, "conte de fées sans fée" dont le succès populaire et critique (Prix Louis Delluc 1946) le consacre comme un réalisateur crédible. Supportant mal les contraintes économiques, Cocteau ruse avec le cinéma commercial, n'acceptant d'endosser le rôle du réalisateur que pour les projets qui lui tiennent le plus à coeur (adaptations de ses propres pièces de théâtre L'Aigle à deux têtes en 1947, Les Parents terribles en 1948), abandonnant ce rôle à d'autres lorsqu'il le peut (Pierre Billon pour Ruy Blas, 1947), quitte à jouer en coulisse le rôle qu'il n'accepte pas d'assumer officiellement (Les Enfants terribles, Jean-Pierre Melville, 1949). L'échec commercial d'Orphée (1950), film dans lequel il s'investit totalement, l'affecte profondément et le détourne définitivement du cinéma commercial. Il tente de retrouver la voie d'un cinéma plus libre en exploitant le format 16 mm (Coriolan, 1947 ; Villa Santo Sospir, 1951) ou en prêtant son concours (notamment par le biais de l'adaptation ou du commentaire) à de jeunes réalisateurs, avant de revenir au 35 pour un ultime essai, Le Testament d'Orphée (1959), réalisé grâce au soutien de François Truffaut.
Cinéaste cinéphile, et cinéphile militant, à partir de la fin des années 40, Cocteau oeuvre par son nom, sa voix ou sa plume pour promouvoir une nouvelle "avant-garde" cinématographique. Il soutient l'organisation du Festival du film maudit de Biarritz en 1949, dont il accepte la présidence, et y rencontre une nouvelle génération de cinéphiles qui deviendront, à peine dix ans plus tard, les cinéastes de la Nouvelle Vague. Figure centrale du Festival de Cannes dans les années 50, il est à deux reprises président du jury des longs métrages (1953, 1954) et devient le Président d'honneur du Festival à partir de 1957. Il exercera une influence durable sur nombre de jeunes cinéastes parmi lesquels Jacques Demy, François Truffaut ou Jean-Luc Godard.

Autres activités

D'abord connu comme poète, dramaturge et romancier (Le Cap de Bonne-Espérance, Le Potomak, La Machine infernale, ...), Cocteau exerça une influence considérable sur la vie artistique de son époque, touchant aussi bien au domaine des arts plastiques (nombreux dessins et peintures) qu'à ceux du ballet (Les Biches, Le Jeune homme et la Mort) ou de la musique (nombreuses collaborations avec les compositeurs du Groupe des Six, notamment Auric et Poulenc, mais aussi Stravinsky). Il exerça également une intense activité de critique. Il fut élu à l'Académie française en 1955.

Courts métrages

en tant que : Réalisateur

1925

Jean Cocteau fait du cinéma

Jean Cocteau

1930

Sang d'un poète (Le)

Jean Cocteau

1950

Coriolan

Jean Cocteau

1951

Villa Santo Sospir (La)

Jean Cocteau

en tant que : Scénariste

1930

Sang d'un poète (Le)

Jean Cocteau

1950

Coriolan

Jean Cocteau

1951

Villa Santo Sospir (La)

Jean Cocteau

en tant que : Auteur de l'oeuvre originale

1957

Bel indifférent (Le)

Jacques Demy

1958

Charlotte et son Jules

Jean-Luc Godard

1959

Anna, la bonne

Claude Jutra

1979

Dame de Monte-Carlo (La)

Dominique Delouche

en tant que : Auteur de l'adaptation française

1948

Leggenda di S. Orsola = Carpaccio (La)
Légende de Sainte-Ursule

Luciano Emmer, Enrico Gras

1949

Goya

Luciano Emmer

en tant que : Dialoguiste

1950

Coriolan

Jean Cocteau

en tant que : Auteur du commentaire

1948

Amitié noire (L')

François Villiers, Germaine Krull

1948

Norvège sans les vikings (La)

René Zuber, Edwige Feuillère

1948

Romantici a Venezia
Venise et ses amants = Aspects de Venise

Luciano Emmer, Enrico Gras

1949

Tennis

Marcel Martin

1951

Villa Santo Sospir (La)

Jean Cocteau

1953

Rouge est mis (Le)

Hubert Knapp, Igor Barrère

1954

Pantomimes

Paul Paviot

1955

A l'aube d'un monde

René Lucot

1958

Django Reinhardt

Paul Paviot

1959

Têtes interverties (Les)

Alejandro Jodorowsky

1963

Egypte O Egypte : Dans ce jardin atroce

Jacques Brissot

en tant que : Monteur

1930

Sang d'un poète (Le)

Jean Cocteau

en tant que : Interprète

1930

Sang d'un poète (Le)

Jean Cocteau

1943

MCDXXIX-MCMXLII = De Jeanne d'Arc à Philippe Pétain

Sacha Guitry

1947

Désordre

Jacques Baratier

1948

Amitié noire (L')

François Villiers, Germaine Krull

1948

Romantici a Venezia
Venise et ses amants = Aspects de Venise

Luciano Emmer, Enrico Gras

1949

Tennis

Marcel Martin

1949

Ulysse ou les mauvaises rencontres

Alexandre Astruc

1950

Colette

Yannick Bellon

1950

Coriolan

Jean Cocteau

1951

Villa Santo Sospir (La)

Jean Cocteau

1954

Bonnes vacances

Jacques Nahum, Pierre Neurisse

1955

A l'aube d'un monde

René Lucot

1958

Musée Grévin (Le)

Jacques Demy

1963

Egypte O Egypte : Dans ce jardin atroce

Jacques Brissot

Longs métrages

en tant que : Réalisateur

1945

Belle et la bête (La)

Jean Cocteau

1947

Aigle à deux têtes (L')

Jean Cocteau

1948

Parents terribles (Les)

Jean Cocteau

1949

Orphée

Jean Cocteau

1959

Testament d'Orphée (Le)

Jean Cocteau

1962

Jean Cocteau s'adresse à... l'an 2000

Jean Cocteau

en tant que : Scénariste

1943

Eternel retour (L')

Jean Delannoy

1945

Belle et la bête (La)

Jean Cocteau

1947

Aigle à deux têtes (L')

Jean Cocteau

1947

Ruy Blas

Pierre Billon

1948

Parents terribles (Les)

Jean Cocteau

1949

Enfants terribles (Les)

Jean-Pierre Melville

1949

Orphée

Jean Cocteau

1950

Corona negra (La)
Couronne noire

Luis Saslavsky

1959

Testament d'Orphée (Le)

Jean Cocteau

1960

Princesse de Clèves (La)

Jean Delannoy

en tant que : Auteur de l'oeuvre originale

1947

Aigle à deux têtes (L')

Jean Cocteau

1947

Amore (L')

Roberto Rossellini

1948

Parents terribles (Les)

Jean Cocteau

1949

Ce siècle a cinquante ans

Denise Tual

1949

Enfants terribles (Les)

Jean-Pierre Melville

1964

Thomas l'imposteur

Georges Franju

1980

Mistero di Oberwald (Il)
Le Mystère d'Oberwald

Michelangelo Antonioni

1984

Voix humaine (La)

Dominique Delouche

2012

Opium

Arielle Dombasle

en tant que : Adaptateur

1944

Dames du Bois de Boulogne (Les)

Robert Bresson

1948

Parents terribles (Les)

Jean Cocteau

1949

Enfants terribles (Les)

Jean-Pierre Melville

1964

Thomas l'imposteur

Georges Franju

en tant que : Auteur de l'adaptation française

1948

Cisaruv slavik
Le Rossignol de l'empereur de Chine

Jiri Trnka, Milos Makovec

1953

Jigoku-mon
La Porte de l'enfer

Teinosuke Kinugasa

en tant que : Dialoguiste

1940

Comédie du bonheur (La)

Marcel L'Herbier

1942

Baron fantôme (Le)

Serge de Poligny

1943

Eternel retour (L')

Jean Delannoy

1944

Dames du Bois de Boulogne (Les)

Robert Bresson

1945

Belle et la bête (La)

Jean Cocteau

1947

Aigle à deux têtes (L')

Jean Cocteau

1947

Ruy Blas

Pierre Billon

1948

Parents terribles (Les)

Jean Cocteau

1949

Enfants terribles (Les)

Jean-Pierre Melville

1949

Orphée

Jean Cocteau

1960

Princesse de Clèves (La)

Jean Delannoy

1964

Thomas l'imposteur

Georges Franju

en tant que : Auteur du commentaire

1948

Noces de sable (Les)

André Zwobada

en tant que : Interprète

1942

Baron fantôme (Le)

Serge de Poligny

1943

La Malibran

Sacha Guitry

1945

Belle et la bête (La)

Jean Cocteau

1948

Noces de sable (Les)

André Zwobada

1949

Enfants terribles (Les)

Jean-Pierre Melville

1950

Traité de bave et d'éternité

Isidore Isou

1954

Eine Melodie - Vier Maler
Une mélodie, quatre peintres

Herbert Seggelke

1956

8 x 8

Hans Richter

1959

Testament d'Orphée (Le)

Jean Cocteau

1962

Jean Cocteau s'adresse à... l'an 2000

Jean Cocteau

1966

Désordre a vingt ans (Le)

Jacques Baratier.

 

Jean Cocteau nait le 5 juillet 1889 à Maisons-Laffite. Son oeuvre de cinéaste est relativement mince par rapport à sa production littéraire (poèmes, pièces, romans) ou graphique (dessins, fresques, céramiques). Cocteau était un touche-à-tout de génie, un "amateur" au sens le plus pur du terme, qui vit dans le cinéma un moyen parmi d'autres pour véhiculer ses fantasmes intimes, ses obsessions, sa "difficulté d'être". Il se voulait poète avant toute chose et baptisa son oeuvre poésie de roman, poésie de théâtre, poésie de cinéma, etc.

Dès 1925, il tourne un petit film (en 16 mm), à la manière de Chaplin, qu'il intitule tout simplement Jean Cocteau fait du cinéma : cette bande ne connut pas d'exploitation publique et l'unique copie fut perdue. En 1930, une subvention du vicomte de Noailles lui permet de réaliser (avec l'aide de Michel Arnaud et de l'opérateur Georges Périnal) un essai d'avant-garde, qui contient en germe le reste de son oeuvre : Le sang d'un poète. Tous les thèmes sont là : les souvenirs d'enfance, l'homosexualité, la drogue, le narcissisme, l'hommage à Eleusis et à ses mystères.

Cocteau abandonne ensuite l'écran pour la scène, n'y revenant qu'à l'occasion de scénarios ou de dialogues écrits pour d'autres : L'Herbier, de Poligny, Bresson et surtout Delannoy (L'éternel retour). Le succès de ce dernier film l'incite à mettre à nouveau (comme il dit) "les deux mains" à la caméra : C'est La belle et la bête, conte de fées pour grandes personnes, s'adressant " à ce qui reste d'enfance en chacun de nous". Suivent des "mises en images" de ses propres pièces, qui sont mieux que du théâtre filmé et où il s'autorise d'étonnantes prouesses techniques : L'aigle à deux têtes et Les parents terribles.

En 1950, c'est Orphée, sans doute son chef d'oeuvre, où la pièce d'origine est cette fois complètement remaniée en fonction des exigences de l'écran. L'échec qu'il rencontre l'éloigne à nouveau des studios; il n'y reviendra qu'avec Le Testament d'Orphée, grâce à l'appui d'un autre mécène, bien plus jeune que lui : François Truffaut. Cette oeuvre ultime renoue avec la veine autobiographique de ses débuts : Cocteau y filme même sa propre mort ! Celle-ci survint effectivement trois ans plus tard, le 11 octobre 1963.

"Mes films, avait coutume de dire Cocteau, n'ont ni queue ni tête, mais ils ont une âme !". Ils s'inscrivent dans une tradition du merveilleux et de la féerie inaugurée par Georges Méliès. Le texte littéraire y est, certes, prédominant : Mais il s'en dégage une fascination certaine.

Jean Cocteau a collaboré à de nombreux autres films dont il signe généralement le scénario ou le dialogue :

Il a été parfois acteur : dans Le baron fantôme, La Malibran (Sacha Guitry, 1943), 8x8 (Hans Richter, 1952) ou son dernier film : Le testament d'Orphée.

 

FILMOGRAPHIE :

 

1930

Le sang d'un poète

 

Avec : Enrique Rivero , Lee Miller , Jean Desbordes , Pauline Carton , Feral Benga. 0h49.

Une cheminée d'usine s'apprête à tomber... Pendant ce temps, dans la chambre d'un poète, une statue sans bras s'anime brusquement. À son invite, le poète plonge dans un grand miroir ornant l'un des murs de la pièce. De l'autre côté, il découvre des lieux et des personnages étranges : Un couloir d'hôtel borgne, une fumerie d'opium, une chambre où l'on donne une leçon de vol à une fillette, un hermaphrodite...

 

1946

La belle et la bête

 

Avec : Jean Marais , Josette Day , Marcel André , Mila Parely , Nane Germon , Michel Auclair , Raoul Marco , Christian Marquand , Mila Parély

Il était une fois un marchand ruiné qui vivait avec ses trois filles, les orgueilleuses, Félicie et Adélaïde, la bonne et douce Belle. Son fils Ludovic, un chenapan, avait pour ami Avenant, amoureux de Belle. Un soir, le marchand s'est perdu dans la forêt et a volé, pour l'offrir à Belle, une des roses du domaine de la Bête, dont l'apparence est celle d'un grand Seigneur et dont le visage et les mains sont d'un fauve. Surpris par la Bête, le marchand, lui explique-t-elle, aura la vie sauve à condition qu'une de ses filles consente à mourir à sa place.

 

1947

L'aigle à deux têtes

 

Avec : Edwige Feuillère , Jean Marais , Jean Debucourt , Jacques Varennes , Sylvia Monfort , Yvonne De Bray. 1h35.

Aux premières années du XXe siècle, dans un pays de montagnes qu'arrose peut-être le Danube, une reine encore jeune assume le poids de son veuvage et les inconvénients de sa charge. Détestée par l'archiduchesse, sa belle-mère, elle traîne son ennui de châteaux en châteaux, espionnée par sa lectrice Mademoiselle de Berg, étroitement surveillée par le comte de Foëhn, ministre de la police, suivie par le duc de Willenstein son amoureux transi. Le chef de la police ourdit un plan machiavélique. Il a l'art d'utiliser des groupes suspects dont il flatte le faux anarchisme, ce qui lui permet de couvrir de boue la reine. Il rencontre un jeune exalté, Stanislas, qui a formé le projet de tuer sa souveraine. Par une coïncidence extraordinaire, Stanislas ressemble de troublante façon au roi défunt. Tandis qu'une fête au château de Krantz rassemble la noblesse provinciale, une chasse à l'homme simulée de toutes pièces permet à Stanislas de s'introduire jusqu'au boudoir royal. La reine est là, solitaire, fuyant les valses et soupant avec l'ombre de son époux. Stanislas tombe évanoui à ses pieds, la reine le cache, le soigne en tant qu'Envoyé de la Mort; elle l'appelle son Destin. Le jeune anarchiste reste dans les appartements royaux. Trois jours d'amour passent vite. Le comte de Foëhn averti et inquiet de la tournure prise par sa machination finit par arrêter Stanislas. Il lui accorde toutefois la liberté jusqu'au départ de la reine qui veut regagner sa capitale pour tenter un coup d'état. Les jeux de l'amour et de la mort vont alors utiliser le poison et le poignard : Stanislas reculant devant un amour impossible avale une capsule fatale. La reine le bafoue, il la tue d'un coup de couteau. Elle a le temps de lui avouer son amour.

 

1948

Les parents terribles

 

Avec : Jean Marais, Josette Day, Yvonne De Bray, Gabrielle Dorziat, Marcel André. 1h40.

Michel, superbe jeune homme choyé par sa mère, Yvonne, avoue à cette dernière qu'il est tombé amoureux de Madeleine. Yvonne est furieuse tout comme Georges, le père de Michel - et également l'amant de Madeleine. Tante Léonie qui demeure depuis fort longtemps dans "La Roulotte" (en fait le foyer de Georges, Yvonne et Michel) tente de "recoller les morceaux". Par son intermédiaire, Madeleine s'accuse d'être la maîtresse d'un autre. Michel, sous le choc, est violemment déprimé. Une fois encore tante Léonie essaye de sauver la situation. Yvonne n'accepte pas que son fils trouve le bonheur auprès de Madeleine et décide de mettre fin à ses jours. Alors que le jeune couple, tout à son bonheur, oublie Yvonne, cette dernière s'empoisonne dans sa chambre...

 

1950

La villa Santo Sospir

 

Film Kodachrome, mis en images par W. Iwanow, assisté de F. Rossif. 0h38.

En 1950 Cocteau commence la décoration (le tatouage) des murs de la villa Santo Sospir, à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Il nous fait la visite commentée de la galerie de tableaux sise dans le jardin ou en bordure de mer.

 

1949

Orphée

 

Avec : Jean Marais, Maria Casares, François Périer, Marie Déa, Juliette Gréco, Jacques Varennes, Maria Casarès, Henri Cremieux, Roger Blin. 1h52.

Dans une ville idéale et sans nom où ce qui compte en littérature se réunit le soir au Café des Poètes. De ce lieu où souffle l'esprit, le célèbre poète Orphée voit arriver à bord d'une somptueuse voiture noire une femme étrange, belle et froide, intouchable princesse, qui paraît protéger un jeune homme appelé Cégeste. À l'issue d'une bagarre que Cégeste, ivre, a déclenchée, deux motocyclistes surgissent et écrasent ce rival d'Orphée. La princesse demande à celui-ci de servir de témoin et la Rolls se referme comme un piège sur Orphée...

 

1959

Le testament d'Orphée

 

Avec : Jean Cocteau, Jean Marais, Nicole Courcel, Françoise Christophe, Edouard Dhermite, Claudine Auger, Daniel Gélin, Jean-pierre Léaud, François Périer, Yul Brynner, Maria Casarès. 1h20.

C'est en premier lieu le testament de Cocteau puisque, jouant lui-même son propre rôle, le poète se promène dans le film et à travers le temps. Ce temps qui devait être anéanti par un revolver, invention d'un savant dont le poète vient troubler la vieillesse. Frappé par une balle, Cocteau rebondit dans un autre temps où il retrouve ses propres créations : Le jeune poète Cégeste, la Princesse toujours belle et inaccessible, le fidèle Heurtebise. Accusé, le poète se défend mal devant ceux qui le condamnent à la vie pour crime d'innocence. Portant en guise de talisman une fleur d'hibiscus, Cocteau reprend sa route et va explorer la " Zone Intermédiaire". Là, continuent de vivre ses divinités et ses symboles favoris. Ayant dépassé un camp de gitans, le poète arrive auprès de la déesse de la Sagesse, Minerve. Celle-ci perce le poète de sa lance et le fait ensevelir dans un tombeau. Il en sort avec les yeux de l'initié : Il ignore alors le sphinx et ne s'attendrit pas en croisant Œdipe ensanglanté : Il continue de cheminer dans la campagne où des motards l'interrogent et lui demandent un autographe. C'est alors que Cégeste le fait disparaître. Seuls, demeurent sur le chemin les papiers d'identité, bientôt transformés en fleurs d'hibiscus.

 

Le sang d'un poète

Avec : Enrique Rivero (le poète), Elizabeth Lee Miller (la statue), Pauline Carton (la professeur de vol), Féral Benga (L'ange), Jean Desbordes (le soldat de Louis XV), Odette Talazac, Fernand Dichamps, Lucien Jager. 0H55.

Pendant ce temps, le 11 mai 1745, un peintre poète, torse nu et portant perruque, dessine une figure féminine sur une toile. Il tente d'en effacer la bouche mais ne parvient qu'à gribouiller la toile. Un jeune noble frappe à la porte de sa chambre alors que tonnent au loin les canons de la bataille de Fontenoy. Il s'en va, effrayé. Le peintre ne sait à quoi est due cette frayeur, à sa toile ou au modèle en fils d'une sculpture qui flotte dans la pièce.

Le poète se lave les mains et s'aperçoit avec horreur que les bulles d'air qui remontent à la surface proviennent d'un trou dans sa main : C'est une bouche, la bouche du tableau qu'il avait tenté d'effacer. Cette bouche dans la main s'accroche comme une lèpre. Il l'embrasse puis tente de la transférer sur une statue sans bras de son atelier. La statue s'anime et lui ordonne de pénétrer dans le monde des miroirs. À son invite, le poète plonge dans un grand miroir ornant l'un des murs de la pièce.

De l'autre côté, il découvre des lieux et des personnages étranges : Un couloir d'hôtel dans lequel il parvient à voir derrière les portes par le trou de la serrure. Dans la première, chambre 17, il voit l'exécution d'un mexicain qui se relève et est tué à nouveau. Dans la chambre 19, une femme donne une leçon de vol à une fillette. Dans la 21, un chinois fait des tours de magie dont il voit les ombres au plafond. Dans la chambre 23 un hermaphrodite apparaît et disparaît sur un canapé. Une main tend un révolver au poète et une voix lui dicte le mode d'emploi pour se tirer une balle dans la tête. Ce qu'il fait. Et, alors que le sang coule, il décide qu'il en a assez et rentre dans sa chambre. "Les miroirs feraient bien de réfléchir à deux fois avant de renvoyer des images" et il détruit la statue. Mais "A détruire les statues, on risque d'en devenir une soi-même" et le poète devient statue.

Cette statue est demeurée jusqu'à aujourd4hui dans la cours d'une école où a lieu une bataille de boules de neige. L'une d'elles heurte de plein fouet un garçonnet qui s'effondre. Des spectateurs en habit de soirée viennent assister, comme au théâtre, à l'agonie de l'enfant près du corps duquel le poète et une jeune femme jouent aux cartes. La jeune femme prévient le poète que, s'il n'a pas l'as de coeur, il est perdu. Celui-ci se penche alors vers le coeur de l'enfant mort et en tire un as. Le poète se suicide, aux applaudissements des invités. La jeune femme devient la statue du départ. Ne laissant aucune trace dans la neige, elle s'éloigne magiquement en tenant une lyre et une mappemonde.

La cheminée d'usine du début s'écroule, signifiant que tout n'a duré qu'une seconde, comme dans un rêve.

Si le film appartient bien au cinéma expérimental c'est d'abord parce que Jean Cocteau ne connaissait rien à la technique cinématographique au moment où il fit ce film :

Quand j'ai fait Le sang d'un poète, je ne me doutais pas que c'était du cinéma. C'était un moyen pour moi de faire de la poésie plastique, et je n'ai jamais pensé que ce film passerait nulle part (...) Je n'ai été totalement libre que dans Le sang d'un poète parce que c'était une commande privée (du vicomte de Noailles, comme L'âge d'or de Buñuel) et que j'ignorais tout de l'art cinématographique. Je l'inventais pour mon propre compte et l'employais comme un dessinateur qui tremperait son doigt pour la première fois dans l'encre de Chine et tacherait une feuille avec. Charles de Noailles m'avait commandé un dessin animé. Je me suis vite rendu compte que le dessin animé exige une technique et une équipe encore inconnues en France. Je lui proposai donc de faire un film aussi libre qu'un dessin animé, en choisissant des visages et des lieux qui correspondissent à la liberté où se trouve un dessinateur inventant un monde qui lui est propre. Je peux même dire que le hasard, ou du moins ce qu'on nomme le hasard (et qui ne l'est jamais pour ceux qui s'hypnotisent sur un travail), m'a souvent rendu service. Sans oublier les brimades du studio où l'on me croyait fou, brimades dont je vous donnerai un exemple. Je terminai Le sang d'un poète. On ordonna aux balayeurs de nettoyer le studio pendant nos dernières prises de vues. Comme j'allais m'en plaindre, mon opérateur (Perinal) me pria de n'en rien faire. Il venait de se rendre compte que la beauté des images naîtrait de la lumière des lampes à arc à travers la poussière soulevée par les balayeurs.

L'expérimentation, parfois maladroite, donne des effets surprenants. Ainsi, pour faire un travelling sur le poète devant un fond noir après la traversée du miroir, Jean Cocteau ne comprit pas qu'il suffisait de faire avancer la caméra vers le sujet ou l'en éloigner. A la place, il avança le sujet filmé, placé sur des rails, vers la caméra. Ce qui donne un aspect étrange au plan. De même, afin de créer une marche qui serait celle des rêves, il a demandé de coucher les décors du film sur le sol, de manière à ce que le mur du décor soit par terre. Le personnage marche ainsi de manière étrange "La musculature mouvante ne correspond pas à l'effort de sa promenade". Il fit aussi peindre les yeux de la statue sur les paupières de l'actrice Lee Miller. Ne voyant rien, sa démarche devenait irréelle.

Jean Cocteau avait d'abord demander à Georges Auric de composer les musiques en fonction des séquences où elles seraient placées. Puis il décida au dernier moment de mélanger les thèmes musicaux et de les placer au hasard dans le film, "afin [...]que cette musique de film colle moins à la roue".

Ces éléments donnent au Sang d'un poète l'atmosphère si particulière, décalée, des rêves.

Le Sang d'un poète "n'est qu'une descente en soi-même, une manière d'employer le mécanisme du rêve sans dormir [...]. Les actes s'y enchaînent comme ils le veulent, sous un contrôle si faible qu'on ne saurait l'attribuer à l'esprit. Plutôt à une manière de somnolence aidant à l'éclosion de souvenirs libres de se combiner, de se nouer, de se déformer jusqu'à prendre corps à notre insu et à nous devenir une énigme."

L'expérimentation est systématisé dans l'hôtel derrière le miroir. La série de chambres, accessibles au regard uniquement par le trou de la serrure illustre un principe d'illusion cinématographique, avec un peu de l'exubérance naïve des films de Méliès que Cocteau a dû voir dans son enfance. Le Mexicain assassiné est ressuscité en marche arrière, l'angle de la caméra nous permet de voir une jeune fille s'accrochant aux murs du plafond ; enfin, un hermaphrodite est construit à base de chair, de lignes dessinées et d'un rotorelief dans le style de Duchamp.

Le film resta pendant au moins vingt ans à l'affiche d'une petite salle de cinéma de New-York et battu le record de longévité d'un film à l'affiche. Dans cette même salle, Charlie Chaplin vit ce film et comprit "qu'il pouvait exister un cinéma en Europe".

 

La belle et la bête

Avec : Josette Day (La Belle), Jean Marais (Avenant / La Bête / Le Prince ), Marcel Andre ( Le père), Mila Parely ( Félicie), Nane Germon (Adélaïde), Michel Auclair (Ludovic)

 

Il était une fois un marchand ruiné qui vivait avec ses trois filles, les orgueilleuses, Félicie et Adélaïde, la bonne et douce Belle. Son fils Ludovic, un chenapan, avait pour ami Avenant, amoureux de Belle. Un soir, le marchand s'est perdu dans la forêt et a volé, pour l'offrir à Belle, une des roses du domaine de la Bête, dont l'apparence est celle d'un grand Seigneur et dont le visage et les mains sont d'un fauve. Surpris par la Bête, le marchand, lui explique-t-elle, aura la vie sauve à condition qu'une de ses filles consente à mourir à sa place. Le marchand peut alors rentrer chez lui sur un cheval blanc nommé "le Magnifique", auquel il suffit de dire à l'oreille : "Va où je vais, le Magnifique, va, va, va... ! "

Pour sauver son père, Belle se rend chez la Bête où elle n'a pas le sort qu'elle attendait : La Bête, qui souffre de sa laideur, l'entoure de luxe et de prévenance. D'abord apeurée, les sentiments de Belle se transforment en pitié avoisinant l'amour.

Mais le marchand est malade. La Bête finit par laisser Belle se rendre à son chevet sous promesse de revenir. Chez son père Belle excite par ses parures, la jalousie de Felicie et d'Adélaïde. Dupée par leurs fausses larmes, Belle n'ose plus rejoindre le château. Poussés par les deux soeurs, Ludovic et Avenant se dirigent vers le domaine de la Bête pour s'emparer de ses richesses. Avenant y perdra la vie.

Pendant ce temps, Belle est retournée au château pour trouver la Bête mourante : Mais sous le regard d'amour de Belle, elle se change en un Prince Charmant qui s'envole avec elle vers son royaume magique...

Le monde de la Belle n'est pas photographié de la même façon que celui de la Bête. Les extérieurs du premier sont largement éclairés car réels. Et ses intérieurs sont influencés par les peintures des maîtres flamands et hollandais, surtout celles de Vermeer (1632-1675). Le monde de la Bête, sombre et mystérieux, se réfère quant à lui aux gravures de Gustave Doré (1832-1883), qui illustra notamment les contes de Perrault. "Je faisais mon film sous son signe" déclara Jean Cocteau.

Jean Marais imaginait au départ une Bête à tête de cerf mais Christian Bérard lui démontra que la Bête devait effrayer, et ne pouvait être en conséquence un herbivore mais un carnivore. Le fameux masque fut confectionné par un grand perruquier parisien du nom de Pontet. Chaque poil était monté sur une toile de tulle divisée en trois parties que l'on collait sur le visage du comédien. Le maquillage, très pénible, prenait cinq heures chaque jour : Trois heures pour le visage et une heure pour chaque main. Certaines dents furent recouvertes de vernis noir pour leur donner un aspect pointu, et les canines pourvues de crocs tenus par des crochets en or.

 

La villa Santo Sospir 1950

Film Kodachrome, mis en images par W. Iwanow, assisté de F. Rossif. 0h38.

En décembre 1949, sur le tournage des Enfants terribles, Cocteau fait la connaissance d’Alec et Francine Weisweiller qui fera une apparition dans Le Testament d’Orphée. Il passe l’été suivant dans leur villa Santo Sospir, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, où il commence la décoration (le tatouage) des murs. Cocteau nous en fait une visite commentée (la galerie de tableaux).

 

Orphée 1959

Avec : Jean Marais, Maria Casares, François Périer, Marie Déa, Juliette Gréco, Jacques Varennes, Maria Casarès, Henri Cremieux, Roger Blin. 1h52.

Dans une ville idéale et sans nom où ce qui compte en littérature se réunit le soir au Café des Poètes. De ce lieu où souffle l'esprit, le célèbre poète Orphée voit arriver à bord d'une somptueuse voiture noire une femme étrange, belle et froide, intouchable princesse, qui paraît protéger un jeune homme appelé Cégeste. À l'issue d'une bagarre que Cégeste, ivre, a déclenchée, deux motocyclistes surgissent et écrasent ce rival d'Orphée. La princesse demande à celui-ci de servir de témoin et la Rolls se referme comme un piège sur Orphée.

Le poète croit poursuivre un rêve qui s'accentue encore lorsque, dans une chambre lointaine, il retrouve les motocyclistes, messagers de la mort et qu'il les voit disparaître avec la princesse dans un miroir. À son réveil, Heurtebise le chauffeur de l'inquiétante voiture le ramène à son domicile où Eurydice, sa femme, tendre et aimante, l'attend, éperdue d'angoisse. Orphée bouleverse alors sa vie; il essaye de capter des messages qu'il croit énoncés par la princesse. Il poursuit ce fantôme qui s'échappe sans cesse.

Mais les deux motocyclistes reparaissent et renversent Eurydice. Accablé, Orphée a recours à Heurtebise devenu son ami pour pénétrer dans le royaume de la Mort. Il va pouvoir ramener sa femme sur terre, à condition de ne plus la regarder en face. Il n'y parvient pas et le couple est à nouveau désuni. À son tour, Orphée succombe, tué par les admirateurs de Cégeste. Dans l'au-delà, un tribunal siège et rend justice. Oui, la princesse aime Orphée, oui Heurtebise aime Eurydice, mais tous deux consentent à se sacrifier pour que les deux objets de leur amour vivent.

 

JEAN COCTEAU AU CINEMA

 

Jean Cocteau est le premier écrivain français à tenter l'aventure du cinéma. Encouragé par le jeune comédien Fabien Haziza, qu'il songe à engager au théâtre pour le rôle d'Heurtebise, il réalise, en 1925, dans des conditions amateurs un film en hommage à Charlot : « Jean Cocteau fait du cinéma ». Le tournage du « Sang d'un poète » débute le 15 avril 1930 dans les studios de Joinville-le-pont. Le chef opérateur est Georges Perinal qui a déjà travaillé avec Jean Grémillon et qui fera les grands succès de René Clair (Sous les toits de Paris, le Million,..). Celui-ci sera un des collaborateurs privilégiés d'Otto Preminger. Interrompu durant l'été, le film se termine en septembre. A l'exception de Pauline Carton, le casting ne comprend pas de professionnels. Un jeune argentin, Enrique Rivero, interprète le rôle principal, celui du poète. Lee Miller, un top model qui a défilé pour Jean Patou et Sciaparelli et que Cocteau a rencontré au Boeuf sur le toit au bras de Man Ray, joue le rôle de la statue, émissaire de la mort anticipant à l'évidence la composition de Maria Casares dans « Orphée ». Le privilège du cinéma sur le théâtre est de passer outre les portes fermées. Ce privilège c'est le montage. Et Cocteau est bien décidé à le faire sortir de ses gonds, concevant le film comme un pur collage au mépris de toutes les règles de raccords. D'un autre côté, il ne croit pas aux partages disciplinaires et il confond l'ensemble des pratiques sous forme de « poésie ». « Le sang d'un poète » est un film sur l'enfance terrible d'Orphée, l'histoire d'un poète qui traverse les miroirs, plonge en apnée dans le grand Inconnu, mais ne trouve au bout de la nuit cosmique que sa petite enfance, un passage enneigé près du collège, une sorte de classe chahuteuse, une figure familière et aimée en pélerine. Le film est divisé en quatre épisodes, dont chacun des titres est annoncé en voif-off par l'auteur. Le premier s'intitule : « La main blessée ou les cicatrices du poète. » Tout le premier mouvement décrit ce combat du poète contre l'oeuvre qu'il a engendrée mais qui acquiert une existence propre, s'imprime dans sa chair et devient une plaie ouverte. Dès ce premier film, Cocteau trouve et condense deux motifs qu'il reproduira de film en film : D'une part, le visage renversé des jeunes hommes, que la caméra filme de derrière (de façon à ce que les yeux soient vers le bas du cadre, la bouche et le menton vers le haut) et, d'autre part, les yeux peints, à la fois fermés et ouverts, regard qui fixe mais ne voit pas (on retrouvera ces yeux peints dans « Orphée » puis dans « Le testament d'Orphée »). Le second épisode du film est intitulé : « Les murs ont-ils des oreilles ? ». Ce volet est celui de tous les défis techniques. Cocteau représente pour la première fois la traversée d'un miroir. Toute cette seconde partie voit le poète du film errer dans le couloir de l'hôtel Welcome, collant son œil indiscret à différents trous de serrure. C'est aussi l'occasion pour le réalisateur d'errer dans le hall du cinéma, et, d'expérimenter les points d'équilibre et de rupture du langage cinématographique. Comme son personnage, Cocteau colle sa pupille dans l'oeilleton du cinéma pour voir comment ça se passe à l'intérieur. En renversant la caméra puis en redressant l'image, il peut donner le sentiment qu'une petite fille court sur le plafond. En faisant défiler la pellicule à l'envers, il fait se redresser un mort (et comme l'effet, probablement inspiré par le « Nosferatu » de Murnau, semble le séduire, il le reproduit plusieurs fois d'affilée, avant de le réutiliser dans de nombreux autres films : « La belle et la bête », les deux « Orphée »,..). Passé de l'autre côté du miroir-cinéma, Cocteau met en scène son propre voyage initiatique sur ce nouveau territoire. Ce voyage au pays du cinéma se termine par la première mort du poète qui se tire une balle dans la tête. La troisième partie s'intitule « La bataille de neige ». Pour la première fois, Cocteau porte à l'écran la scène inaugurale du roman « Les enfants terribles ». Le poète enfant est frappé de plein fouet par une boule de neige dure comme la pierre, lancée par le charismatique Dargelos. Il tombe et succombe. C'est, dans le temps du film, la deuxième mort du poète, mais la première dans la chronologie de sa vie. Nous sommes désormais dans un film narratif et poético-réaliste des années 30, embrumé de quelques souvenirs de Jean Vigo (« Zéro de conduite »). On retrouve la Cité Monthiers, lieu que traversait Cocteau en revenant du collège, qu'il décrit dans « Le livre blanc » et dans « Les enfants terribles », et qu'il a reconstruit en studio. Le réalisateur aurait déclaré : Cette autre « forme de moi », c'est le film. Ce serait donc cela le processus cinématographique : Une transsubstantiation. La dernière partie du « Sang d'un poète » s'intitule justement : « La profanation de l'hostie. ».Il reprend le titre d'un tableau d'Uccello. Une projection de cinéma serait donc une communion, une cérémonie où le poète offre son sang, offre son corps, passé tout entier dans une petite galette de pellicule, une hostie. Lorsque l'enfant défunt gît au pied du poète transformé en joueur, celui-ci lui dérobe un as de cœur pour continuer la partie. L'artiste est ce tricheur qui dépouille sa propre enfance, en fait des livres, des films, des spectacles. Laquelle ne dit rien, mais n'en pense probablement pas moins : « Prenez, car ceci est mon cœur. »

 

En 1942, vînt « Le baron fantôme ». Le cinéaste Serge de Poligny propose à Jean Cocteau de retravailler le récit et d'écrire les dialogues. Le film fait le récit de l'amour de deux jeunes filles pour un garde-chasse, dans un manoir dont le propriétaire a mystérieusement disparu dix ans plus tôt. Interprété par Alain Cuny, qui vient de triompher dans « Les visiteurs du soir », le film s'inscrit dans la veine du fantastique poétique qui fait les beaux jours du cinéma français de l'Occupation. Si « Le baron fantôme » ne satisfait guère le poète, il lui permet pourtant d'explorer une figure qui fera retour ultérieurement dans son œuvre de cinéaste : La mise en scène de sa propre disparition. Vingt ans avant de succomber à la lance du testament d'Orphée, Cocteau a accepté d'interpréter le rôle-titre et tombe en poussière dans son manoir. Pour la première fois, il imprime son image sur de la pellicule mais c'est aussitôt pour mettre en scène son trépas, passer du visible à l'invisible, se dématérialiser. Dans « La difficulté d'être, Cocteau déclare : « ...Vivre me déroute plus que mourir. »

 

En 1943, Jean Marais a déjà interprété sur scène « Les chevaliers de la table ronde », « Les parents terribles » et « La machine à écrire ». Jean Cocteau en a fait sa nouvelle égerie théâtrale. Le film « L'éternel retour » est cette rencontre. Il fixe un moment de l'histoire d'amour des deux hommes. L'amour fou de convention (une adaptation contemporaine de la légende de Tristan et Yseult) tient lieu de récit. Ce n'est que le cache-sexe de cet amour-là. Le choix de Jean Delannoy à la mise en scène participe de ce fantasme. Jean Cocteau est scénariste et dialoguiste du film. A la libération, le film est projeté dans le cadre d'une Quinzaine du cinéma français, comprenant quinze des plus grands succès produits pendant l'Occupation et visant à démontrer la grandeur du cinéma national, qui n'a pas démérité et, face à l'adversité, a continué à affirmer la grandeur de la France. Cocteau indique la provenance du titre : « L'éternel retour...Ce titre, emprunté à Nietzsche, veut dire, ici, que les mêmes légendes peuvent renaître sans que leurs héros s'en doutent- Eternel retour de circonstances très simples qui composent la plus célèbre de toutes les grandes histoires de cœur. » Patrice (Jean Marais - Tristan) a perdu sa mère. Il vit chez son oncle Marc, lui-même veuf. Le château familial recueille également Gertrude, la belle-soeur du châtelain et tante de Patrice. Cette vieille femme acariâtre flanquée d'un mari pleutre et d'un fils nain, Achille, à l'effrayante méchanceté, est rongée par le ressentiment. Madeleine Sologne incarne Nathalie (Yseult). La conjuration des faibles, des médiocres aboutit ici à la chute des héros. La poésie surgit à travers les filtres, les flous, les clairs-obscurs modelant à l'excès les visages, les décors d'opérette, les cadrages légèrement penchés comme marques terminales (coutumière au cinéma français des années 30-40, de Raymond Bernard à Duvivier) d'un expressionnisme allemand feutré.

 

En 1945, c'est au tour du film « Les dames du bois de Boulogne ». Le jour où Robert Bresson contacte Cocteau pour lui proposer de l'aider aux dialogues du film, celui-ci enregistre pour Radio-Paris un hommage à Jean Giraudoux avec Maria Casarès. Dès les premières scènes du film, lorsque celle-ci va à la rencontre de ses deux proies, elle porte une cape noire à capuche, qui l'apparente aux représentations les plus usuelles de la grande faucheuse. Par la suite, son élégance ascétique, la coupe de ses vêtements pour la plupart noirs, son ton altier et métallique, sa façon de ne prendre la parole que pour proférer des ordres(« Il le faut »)sont déjà les germes de la Mort tragique et autoritaire d'Orphée.

 

En 1945, dans son travail d'adaptation de « La belle et la bête », Cocteau choisit de rester au plus près de la trame du conte de Mme Leprince de Beaumont. Il conserve les grandes lignes du récit : La méchanceté  des deux sœurs aînées de la Belle, la déchéance dans la misère du père, le vol d'une rose qui contraint le père à livrer à la Bête une de ses filles en dédommagement, le progressif attachement de la Belle pour la Bête et la transformation finale de la Bête en prince. Mais il apporte quelques aménagements personnels : La bague, que porte la Belle pour disparaître et réapparaître à sa guise, est remplacée par un gant, dont le pouvoir est proche de ceux que revêt Orphée pour traverser le miroir. Il ajoute la figure de Diane la chasseresse, réminiscence antique qui ne figure pas dans le conte. Il réduit surtout à un seul personnage, Ludovic joué par Michel Auclair, les trois frères de la Belle et lui adjoint un meilleur ami, amoureux d'elle, Avenant interprété par Jean Marais. Josette Day est la Belle et Jean Marais la Bête. Comme dans « L'eternel retour », il y a deux films et deux visions de cinéma. D'abord, le cinéma de la parole et la théâtralité, où les dialogues crépitent aussi vite que les plans (découpage vif, petits recadrages alertes), où le réalisme des situation est tempéré par la fantaisie des caractères. Et puis, il y a le merveilleux, l'empire du cinéma, où se conjuguent les effets spéciaux, le hiératisme des postures, la picturalité des plans et la mutité insistante des personnages. Ce climat onirique est dû en premier lieu à Christian Bérard, décorateur de théâtre et ami, que Cocteau impose sur le film comme directeur artistique. Bérard travaille à partir de gravures de Gustave Doré et de toiles de Vermeer, Rembrandt, Le Nain. Henri Alekan, le chef opérateur, a également pour consigne de retrouver les mouvements lumineux de la peinture hollandaise. Le cinéaste souhaite une lumière forte en contrastes, surtout pas diffuse, à rebours du nuancier gris propre au cinéma français.

 

Dans la foulée de « La Belle et la Bête », Jean Cocteau envisage de tourner un nouveau film en costumes avec Jean Marais. Il consacre une partie de l'été 1946 à adapter pour le cinéma, la pièce de Victor Hugo, « Ruy Blas ». Rapidement, il renonce à réaliser le film lui-même et en confie les soins à Pierre Billon. Au casting, nous retrouvons Danielle Darrieux et Jean Marais. « Avec «Ruy Blas »,il s'agissait de faire un western, un film de cape et d'épée », déclare Cocteau. Le poète pygmalion programme la carrière et la popularité de son acteur fétiche. Il veut faire de Jean Marais la plus grande star masculine de France. Il a donc prémédité et préparé les films que l'acteur tournera plus tard chez Hunnebelle. Il a même défini la figure qui ne cessera d'accompagner toute sa carrière : Le double. Dans « Ruy Blas », comme dans « La Belle et la Bête », Jean Marais joue deux personnages différents. Les deux fois, il s'agit d'un roturier et d'un prince.

 

En février 1947, Jean Cocteau et Jean Marais achètent en indivision le domaine de Milly-la-Forêt, où l'écrivain résidera jusqu'à la fin de ses jours. Durant l'été 1947, dans l'entousiasme de sa récente installation, Cocteau tourne à Milly un petit film en 35 mm intitulé « Coriolan », auquel Jean Marais et Josette Day prêtent leur concours. On peut voir dans ce geste amateur l'anticipation de « La Villa Santo-Sospir », home-movie doublé d'un essai esthétique. Mais Cocteau n'a pas jugé bon cette fois d'organiser des projections et d'exposer le film au regard d'une audience. Il dit notamment à propos de cette œuvre : « J'y joue aux côtés de Jean Marais, de Josette Day et d'un mannequin rapporté d'un bric-à-brac de studio, mannequin autour duquel le film s'organise. (…) C'est un grand luxe, à notre époque, que de posséder une œuvre invisible qui risque de devenir fort intéressante un jour. » C'est Henri Filipacchi qui possédait les appareils de prises de vue et c'est à lui que Cocteau a confié le négatif.

 

En janvier 1944, Cocteau présente sa pièce « L'aigle à deux têtes » à Edwige Feuillère qui s'enthousiasme pour le rôle. Pourtant, la Libération de la France, le tournage de « La Belle et la Bête », retarderont la création de la pièce jusqu'en octobre 1946, à Bruxelles, puis à Paris en décembre de la même année. Celle-ci remporte un vif succès. Presque immédiatement, tandis que les comédiens entament une longue tournée, Cocteau prépare l'adaptation cinématographique de « L'aigle à deux têtes ». Il dit à ce propos : « J'ai eu cette fois le dessein de porter à l'écran une pièce de théâtre en lui conservant son caractère théâtral. » Il conserve une large part des dialogues de sa pièce. Près de la moitié du film est constituée de très longues séquences dialoguées à deux personnages. La caméra épouse tous les mouvements des acteurs, les décadre et les recadre en de multiples petits panoramiques alertes, multiplie les plongées et les contre-plongées. Le corps théâtral est repris, retravaillé par une écriture expressément cinématographique. Si « L'aigle à deux têtes » n'a pas connu l'immédiate fortune critique du film suivant « Les parents terribles », c'est que son travail de problématisation du théâtre par les procédures du cinéma y est moins radical, moins théorique aussi.

 

Pour Cocteau, en 1948, lorsqu'il adapte au cinéma la pièce de 1938 « Les parents terribles », il lui faut encore passer par ce rituel de théâtre, fut-ce avec un faux rideau. Le rideau ne découvre pas un espace scénique, envisagé du point de vue idéal d'un spectateur des premiers rangs, mais un plan très rapproché, presque difficile à déchiffrer. Tourné presque immédiatement après « L'aigle à deux têtes », en mai et juin 1948, « Les parents terribles » est la seconde adaptation par Cocteau d'une de ses pièces. Celui-ci tient à rétablir le casting initial avec notamment Yvonne de Bray et Jean Marais. Josette Day, Gabrielle Dorziat et Marcel André complètent la distribution. Le film ne comporte aucun plan d'extérieur. L'oeuvre est littéralement une pièce de théâtre filmée. « Je souhaitais trois choses : 1) Fixer le jeu d'artistes incomparables 2) Me promener parmi eux et les regarder en pleine figure 3) Mettre mon œil au trou de la serrure et surprendre mes fauves avec le téléobjectif. » Tel est le programme énoncé par Cocteau. La caméra détermine avec une précision diabolique l'emplacement des comédiens. Les cadres sont concertés, composés, extrêmement signifiants. Sur à peu près quatre cents plans, seulement une trentaine correspond à des gros plans. « Les parents terribles » raconte plus que tout autre œuvre de Cocteau un assassinat non intentionnel. La pièce par beaucoup d'aspects est un remake contemporain de « La machine infernale ».

Lorsque Jean Cocteau entreprend l'écriture d' « Orphée », en décembre 1947, le tournage de « L'aigle à deux têtes » n'est pas terminé, et celui des « Parents terribles » n'a pas encore commencé (les deux films seront distribués en septembre et en décembre 1948). La mise en scène de cinéma est devenue l'activité principale du poète. La genèse d' « Orphée » est marquée par plusieurs crises. Lâché par ses financiers, Cocteau se résout donc à créer sa propre société et demande à ses comédiens de n'être payés qu'en participation. Après quoi, rassuré de ne pas prendre les risques seuls, André Paulvé accepte de coproduire le film. Jean Cocteau pensait bénéficier d'un certain crédit à l'intérieur des institutions du cinéma français. Il découvre que son statut est précaire, qu'il n'a aucune immunité et que lorsqu'il se lance dans son projet le plus ambitieux, celui qui touche au plus intime de son inspiration poétique, il redevient un marginal. Ce traitement paradoxal, cette notoriété presque excessive doublée d'un étrange déficit de reconnaissance, devient le sujet du film. Cocteau a déjà tiré une pièce (en « un acte et un intervalle ») du mythe d'Orphée, créée à Paris au Théâtre des Arts en juin 1926. Dans le film de 1949, il fait subir de nouvelles transformations à l'oeuvre par rapport à la pièce. Orphée n'est plus décapité, le centaure a disparu (il ressurgira dans « Le testament d'Orphée »), remplacé par une radio d'automobile et le couple revient à la vie. Cocteau minore la présence d'Eurydice qui devient ici presque un second rôle. Il fait apparaître le personnage de la Bacchante (Juliette Gréco), demeurée invisible dans la pièce, mais restreint son importance dramatique (elle n'est plus responsable de la première disparition d'Orphée). Enfin, il développe le personnage de la mort d'Orphée (Maria Casarès), décoratif dans la pièce et absolument central dans le film. C'est désormais elle, plus encore que l'obsession de livrer un chef-d'oeuvre poétique, la principale rivale d'Eurydice. De la pièce au film, Orphée perd son caractère d'allègre comédie de remariage pour devenir le récit amer et lugubre d'un grand amour condamné d'avance. Pourtant le sublime est interdit aux amants. Leur réintégration forcée dans la réalité, alors que tous deux avaient choisi la mort, ressemble à une condamnation et le simulacre de bonheur conjugual de la dernière scène se fait au prix de l'amnésie et de l'ignorance. Avec Orphée, Cocteau démembre la mécanique dramatique de sa pièce, multiplie les extérieurs, les changements de décor, ne conserve qu'une faible partie du texte initial pour élaborer un récit proprement cinématographique, affranchi de son origine théâtrale. Dans sa facture, son montage, son mode de narration elliptique, son éclairage de série B, « Orphée » est un film d'action, un rêve de film noir américain. En s'abreuvant dans le cinéma américain, en radicalisant ses procédures stylistiques, Cocteau retrouve cet autre cinéma français qui admirait l'économie narrative de la série B : Robert Bresson.

 

Dans « Entretiens sur le cinématographe », Jean Cocteau relate l'aventure des « Enfants terribles » : « C'est une aventure exceptionnelle. J'acceptais la demande de Melville parce que son style de franc-tireur me parassait apte à communiquer à ce film cette allure improvisée du 16 mm. En outre, le manque de capitaux et l'absence de vedettes impliquaient l'emploi de décors réels. Nous tournâmes dans l'appartement de Melville. Nous tournâmes dans des wagons. Nous tournâmes dans l'invraisemblable hall du Petit Journal. Nous tournâmes chez « Laurent », avenue Gabriel, et même, Melville étant malade, je tournais le bord de mer en été, à Montmorency, sous la neige ! Le seul studio auquel nous recourûmes pour la chambre fut le théâtre Pigalle dont la machinerie impraticable rendit enfin d'énormes services. En effet au lieu d'élever l'appareil grâce à des grues qui n'existent pas en France, nous enfonçâmes la scène mobile jusqu'aux caves.(..) »

Lorsque le jeune cinéaste Jean-Pierre Melville propose à Cocteau de produire et de réaliser une adaptation des « Enfants terribles », ce court roman qui fut un des plus vifs succès littéraires de l'écrivain et qui suscita lors de sa sortie en 1929 l'engouement de toute une génération, le film « Orphée » est en cours de tournage. En 1950, la manière de Cocteau cinéaste paraît de plus en plus nettement en décalage avec celle du cinéma commercial de l'époque, dans lequel pourtant, quelques années plus tôt, le poète semblait solidement implanté. Le réalisateur envie la liberté du cinéma amateur, celles des films en 16 mm. Pour ce film, « Les enfants terribles », Henri Decae travaille sur des lumières plates, proches de l'image du reportage, des extérieurs pâlis par la violence d'une lumière naturelle non tamisée, des intérieurs débarrassés des effets d'ombres et de nuances du cinéma classique. Dans ce long-métrage, le texte du roman est omniprésent et c'est l'auteur lui-même qui en fait la lecture. La plupart des films de Cocteau comporte la voix-off de l'auteur, mais cette voix est assez discrète. Elle souligne les principales articulations poétiques du récit (« Orphée »), le lance ou le clôt (« L'éternel retour » ou « Les parents terribles »). Ici, elle devient le partenaire privilégié de l'image, sur un mode souvent tautologique. Tout ce qui est dit est montré et l'essentiel de ce qui est montré doit être également dit. « Les enfants terribles » n'est pas seulement une métamorphose du roman en film, c'est aussi une prise en compte du travail littéraire de l'écrivain, un travail de mise en forme cinématographique de son écriture, bref une lecture en cinéma.

 

Le 3 mai 1950, Jean Cocteau passe pour la premère fois la grille d'entrée de la villa Santo-Sospir. C'est un havre de quiétude ombragé de pins et de cyprès, juché au-dessus de Saint-Jean-Cap-Ferrat et Villefranche-sur-mer. Le domaine appartient à Francine Weisweiller la dernière amie et mécène de Cocteau. Ils se sont rencontrés sur le tournage des « Enfants terribles ». Le cinéaste va orner les murs de la villa de fresques, de peintures et de dessins. Dans la lignée de « Coriolan », réalisé en quelques week-end de 1948, le cinéaste décide de consacrer une semaine d'août, en 1951, au tournage d'un nouveau film financé comme un film de vacances. Filmé en 16 mm, « La Villa Santo-Sospir est tournée en équipe réduite, avec un assistant le jeune Frédéric Rossif et un cadreur. C'est la première fois que Cocteau choisit de se filmer . Il traverse des jardins, fait office de guide, se montre au travail, et , s'offre même une scène de pure comédie où on le voit de façon clownesque monter un cheval de bois puis une statue de lion. C'est aussi la première fois et la seule, qu'il utilise la couleur . Le cinéma colorisé serait une rêverie déréalisée. Cependant Cocteau est du côté du dessin plutôt que de la peinture et du côté du trait plutôt que de la couleur. Ces couleurs maladroites, pas du tout maîtrisées, inaptes à produire du sens, donnent au film son allure de home-movie des années 50. Le corps de Cocteau devient plus familier, plus charnel. Il n'est plus une figure mais une matière organique. « La Villa Santo-Sospir » est davantage un film documentaire sur des dessins et sur des tableaux que sur l'acte de peindre. C'est vraiment l'ébauche du « Testament d' Orphée ». C'est ici qu'il expérimente pour la première fois le plan-séquence filmé à l'envers : C'est une fleur que le poète recompose pétale par pétale.

 

1959. Jean Cocteau n'a pas tourné de long-métrage pour le cinéma depuis dix ans. Il a l'idée d'un essai récapitulatif de toute son œuvre cinématographique et il en fait la matrice de son nouveau film. Ainsi naît « Le testament d'Orphée », essai insituable sur la cartographie des genres cinématographiques établie par les institutions du cinéma. Ne trouvant pas de producteurs traditionnels, Jean Cocteau fait intervenir sa vieille amie Louise de Vilmorin, compagne du Ministre de la Culture André Malraux, pour obtenir une subvention du Crédit National. Une petite communauté d'amis du poète se cotise pour financer le film. Parmi ses mécènes comptent Francine Weisweiller, Yul Brynner et François truffaut, qui met les bénéfices des ventes à l'étranger des « 400 coups » à la disposition du poète. Dans le film, les fantômes viennent à la rencontre du cinéaste : Jean Marais dans la défroque d'Oedipe aveugle supporté par Antigone et son bâton, Edouard Dermit en Cégeste, Maria Casarès et François Perrier dans les vêtements de la Princesse et d'Heurtebise, dix ans après « Orphée ». Heurtebise faisait observer à Orphée, dix ans plus tôt, que si on regardait attentivement un miroir, on pouvait observer « la mort au travail ». Le cinéma est devenu , ici, ce miroir. Un miroir à deux faces (« Orphée » puis son « Testament ») et un intervalle (dix années nécessaires et suffisantes). Cocteau n'a cessé de travailler sur une dualité : Le temps incompressible enregistré par la machine d'un côté et, de l'autre, celui qui rebique et se démultiplie, imaginé par des fictions toujours prodigues de sautes temporelles, retours en arrière, boucles et bégaiement de toutes sortes. Les premières scènes du film relatent les rendez-vous manqués dans les replis de l'espace-temps, entre le poète et un grand physicien, théoricien de la relativité. C'est une œuvre moderne, une réflexion du cinéma sur lui-même, où le personnage principal ne peut être que le cinéaste lui-même, diagnostiquant un état de crise et le dépassant en faisant de la crise la forme même du film. Il y a déjà du « Huit et demi » dans ce débordement de l'artiste par toutes les images qu'il a enfantées. Il y a du Straub dans cette façon d'exposer un Oedipe et une Antigone en costumes à la brutalité de la lumière extérieure et des décors naturels. Mais aussi du Godard et du Warhol. « Le testament d'Orphée » synthétise une large part des multiples activités artistiques du poète : Cinéaste, écrivain, tapissier, décorateur de chapelle.. Le film est une promenade dans sa « factory », une sorte de film-exposition. Beaucoup d'acteurs et de célébrités traversent le film en visiteurs: Pablo Picasso, Lucia Bose et son époux toréador... Au dernier plan, Cocteau confesse en voix-off : « Ils n'apparaissent pas parce qu'ils sont célèbres mais parce qu'ils sont mes amis. »

LES FESTIVALS

« Entre les murs » de Laurent Cantet, France, 2h08, 35mm, scope, dolby SRD-DTS.
Avec François Bégaudeau, Esmeralda Ouertani, Rachel Régulier, Franck Keïta et la classe de 4ème du collège Françoise Dolto du 20ème arrondissement de Paris. PALME D'OR au 61ème Festival de Cannes 2008. Sortie le 24 septembre 2008

 

En début d'année scolaire, Monsieur Marin, jeune professeur de français, se présente à sa classe de 4ème. Les élèves Sandra, Khoumba, Wei, Souleymane, Carl et les autres ouvrent une véritable conversation avec leur enseignant au travers de leurs propres mots sur leur éducation scolaire mais aussi sur leurs visions de la vie.. Le réalisateur Laurent Cantet avait l'idée d'un film sur la vie d'un collège, avant le tournage de son film « Vers le sud ». A sa sortie, il rencontra François Bégaudeau, professeur de français à la présentation de son nouveau livre « Entre les murs ». L'ouvrage est documenté de ses expériences quotidiennes durant une année scolaire. Laurent Cantet adapte librement son roman pour l'écriture du scénario. François Bégaudeau souligne à ce propos : « Dans ce matériau, Laurent et son co-scénariste Robin Campillo ont tiré le fil qui les intéressait ». Laurent Cantet confirme son approche : « Je voulais au contraire montrer l'école comme une caisse de résonance, un lieu traversé par les turbulences du monde, un microcosme où se jouent très concrètement les questions d'égalité ou d'inégalité des chances, du travail et de pouvoir, d'intégration culturelle et sociale, d'exclusion. » Pour les personnages, le travail de composition des acteurs s'est fait à partir du récit écrit issu du roman pour constituer un récit filmique où le travail d'improvisation a sa part égale. Les enfants ont travaillé avec leurs parents et leurs professeurs pour établir leurs rôles de composition jusqu'à la crédibilité. Wei conserve une part secrète existante de son personnage tandis qu'Arthur est un rôle inventé à partir du tournage du film. Ainsi la plupart des élèves ainsi que le professeur conservent leur prénom et s'imbibent véritablement des personnages du scénario pour faire corps à l'image, au cinéma. Face à la caméra, dans le rapport champ contre -champ, le hors-champ s'inscrit dans le huis-clos de la classe comme un raccord permanent à un autre regard. Le cadre répond à cette double exigence filmique confirmant l'interaction avec le public. Le discours et le narré deviennent les questions essentielles des points de vue dans le cynisme et l'ironie. Le réalisateur Laurent Cantet introduit son regard dans un mouvement latéral. L'aller et le retour s'effectue dans la notion d'échange et de partage. Les visages reflètent l'expression d'écoute et de non-écoute mais aussi d'attente et d'impatience. Les corps s'expriment dans leur incompréhension. L'être et le paraître se répondent. Le langage, moteur du film, se formalise comme enjeu démocratique fondamental. Question primaire comme la couleur bleue de la classe ? Les questions du savoir et du non savoir se véhiculent tout au long du film. Dans le régime représentatif, Laurent Cantet inscrit le point d'un vue d'un professeur dans sa quête. Seul le statut du personnage fictif change à la différence des vrais statuts des acteurs du film. Ici se dessinent les frontières entre la fiction et le documentaire, confrontant les collégiens, dans leurs ressemblances fictives, à leurs propres dissemblances. Le jeu de rôles instauré par la mise en scène procure ainsi ce décalage entre le réel et la réalité, une voie ouverte par le modernisme au cinéma. D'une dimension individualiste, celle du professeur, s'incrit une dimension collective, celle des élèves. Dans une première lecture didactique, le rapport professeur et élève fait débat sur la question de l'éducation après le documentaire « Etre et avoir » de Nicolas Philibert, en 2002. Dans une seconde lecture exemplaire, dans une plus large mesure, le film pose son regard sur les rapports sociaux les plus difficiles comme un constat de société. Le film « Entre les murs » de Laurent Cantet reçoit la Palme d'Or du Festival de Cannes 2008, 40 ans après le film « If » de Lindsay Anderson, Palme d'Or du Festival de Cannes en 1969, lui-même hommage au film «Zéro de conduite » de Jean Vigo, en 1933.

 

« LE RUBAN BLANC » de MICHAEL HANEKE

Titre original : « Das Weiße Band - Eine deutsche Kindergeschichte »
( France, Italie, Autriche, Allemagne, durée 2h24, Noir et Blanc, 35 mm, VO ). Avec Christian Friedel (L'instituteur), Ernst Jacobi (Le narrateur : L'instituteur âgé), Leonie Benesch (Eva), Ulrich Tukur (Le Baron), Ursina Lardi (La Baronne Marie-louise), Fion Mutert (Sigmund), Michael Kranz (Le précepteur), Steffi Kühnert (Anna), Maria-Victoria Dragus (Klara), et Leonard Proxauf (Martin) - Palme d'Or Cannes 2009

Avertissement : Des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

 

En 1913-1914, dans un village allemand, de religion lutherienne pratiquante, sous les masques de la pureté religieuse se dessinent des portraits malsains. A la recherche de l'origine d'un Mal, Michael Haneke le détecte dans cette histoire troublante à l'aube de la première guerre mondiale. « Le ruban blanc » fait référence à une punition imposée aux jeunes enfants. Les distinguant par leur impureté, le maître frappe et inflige une correction en attachant l'élève la nuit. Filles et garçons doivent attacher un ruban de couleur blanche à leur bras.. La narration de l'instituteur, dans ses vieux jours, fait office d'un souvenir impérissable tant les contradictions et les violences se sont inscrites dans un schéma évolutif de réflexion. L'effet-miroir par la dimension historique de la photographie Noir et Blanc rend les personnages hermétiques. Avec retenue et sobriété esthétiques, se dressent les tableaux de la vie d'un village sous la doctrine éthique du début du Xxème siècle. De l'écriture du scénario à l'impression d'une adaptation littéraire au cinéma, Michael Haneke conçoit des personnages cinématographiques. Ils vivent par l'image dans une reconstitution précise et détaillée de phénomènes inquiétants. La narration sous tend un souci de témoignages et de preuves pour se souvenir de l'immontrable en qualité de mémoire. Ici, la fiction rend les personnages non indemnes de leur passé et de leur vécu sous leurs propres influences mutuelles. Dans le choix de subir ou d'agir, impuissants aux évènements, leurs réactions perturbent les esprits et se confrontent à l'ordre moral. Ainsi les formes de violences par les agressions, les accidents, les saccages, deviennent les manifestations physiques de symptômes traumatiques invisibles. Le récit, où la narration se matérialise par la pensée de ce mal, laisse vivre l'instant cinématographique dans sa perception. La pulsion scopique du spectateur est mise à distance conservant la pudeur de la mise en perspective de tel châtiment. La proxémie avec les personnages permet ainsi à l'aboutissement d'un point de vue d'un contexte difficile. Cette histoire peut être perçue comme une séries d'épisodes se révélant être une histoire de tourments dans le tourment de l'Histoire. Mais le grand mal de la guerre va s'abattre quelques temps plus tard. L'esthétisation à ses contrastes parfaits, des blancs du ciel et de la neige au noir, imposé en robe cinématographique, poussé à son intensité maximale, affirme le caractère artistique incontestable de l'oeuvre filmique. Le noir lissé pour atteindre le contraste absolu avec le blanc élabore la charpente esthétique de l'histoire. Celle-ci offre sa propre dimension historique, celle du souvenir dans la tristesse. Dans l'abstraction d'un message douloureux et transmissible, une position indélicate se profile comme la peur de voir et sa contrainte. Ici s'élève la figuration d'une mentalité d'une époque en proie à ses démons invisibles. Le mal est ainsi dans l'âme humaine. La suspicion d'abord, puis le doute enfin l'énigme se déclinent par cette première lecture du véhicule d'un mal dans le symbole du « ruban blanc ». Le conservatisme des idées s'entrechoque avec l'étrangeté d'une réalité révélée. Ce phénomène déstabilise le spectateur face à une histoire entre le relaté et la relativité de faits dérangeants. Des points de souture se créent entre les perceptions de l'auteur, des personnages et du spectateur. La construction narrative par cette notion particulière d'interaction procure ce sentiment d'impuissance du personnage puis celui du spectateur face à l'innommable et aux châtiments. Les formes de violences verbales puis physiques représentent ainsi les fléaux d'une époque. La recherche et le symbolisme d'un « mal-être » évoque cette méfiance face à l'autorité divine et à ses conjurations. La crédulité survient dans le retranchement des effets néfastes des évènements. Si le regard reste figé c'est bien que les personnages incarnent véritablement leurs rôles pour nous faire saisir le sens de leur vie à l'image. Leurs dérives abjectes montrent la décomposition et la destruction d'un système doctrinal. Au travers des précepts religieux, la figuration d'une mentalité aboutit ainsi à sa défiguration.

 

Statisme à l'image opposé aux mouvements.
Les personnages sont liés par la même force qui les anime. Leurs mouvements à l'écran portent à croire aux fulgurances qui les habitent. Un contraste fort et retenu se perçoit avec la sobriété de la caméra fixe. Leurs croyances en l'église luthérienne se confirment dans leur statisme à l'image. La violence traverse l'image par leur déplacement, bousculant leurs convictions figées. La contamination par l'esprit du Mal se révèle par l'étrangeté de cette mémoire. Celle-ci se souvient d'une époque emprise aux tourments suite à des évènements troubles. Ils viennent perturber tout un village allemand, à l'aube de la première guerre mondiale. Ils sont étroitement liés par une pensée particulière, une forme de violence intellectuelle qui se dissimule dans les actes. La foi reste elle-même, dans l'idée de sauver les esprits du mal. De la constance des personnages, de par leur distance à l'écran, apparaît la toile trouée de l'abjection. Ainsi découle une vue de la perversion par l'enchaînement des bouleversements. Cousu par le fil du mal, « le ruban blanc », cette punition irréversible s'applique sur les enfants dans le cynisme de l'acte. A partir d'un scénario brillamment écrit, Michael Haneke élabore un cadre cinématographique dans la sophistication de la photographie Noir et Blanc. Le contraste est conduit à son paroxysme par le blanc soutenu dans les balances associé à la densité du noir. Le cinéaste dresse un portrait de la société allemande au début du Xxème siècle, à partir de tableaux esthétisants. D'après un scénario original, « Le ruban blanc » est un film inscrit dans la tradition du cinéma classique.

 

Suspense insoutenable: Le regard imposé.
Dans l'image, l'évènement pousse la fin de l'action à cette pensée perverse d'un monde aux prises à ces démons. L'image révèle quand les personnages disent tout haut leurs pensées basses d'un monde où rien n'est destiné aux mauvaises circonstances. L'atmosphère sobre maintient une cohérence dans cette décadence de l'éducation. L'esprit même du village, l'institution et l'ordre moral sont désormais traversés par des aberrations. Une forme de violence est atteinte dans le conditionnement du regard. Voir suffit pour comprendre. Les limites de l'action permettent de laisser l'èvènement vivre dans l'image. Le fil des souvenirs du narrateur véhicule la notion du « ruban blanc », punition infligé aux jeunes élèves. Cette correction a-t-elle ce pouvoir de transmission ? Dans l'affiliation, la violence du regard de l'auteur se confirme par « avoir vu la violence ». Elle rend violents et sourds les personnages en train de la subir. La démesure de l'évènement ne peut se formaliser qu'en induisant d'autres formes comme une dégénérescence de l'ordre moral perverti. Une forme d'incompréhension spectatiorielle nait, laissant le doute à une quelconque vérité. L'énigme est obligée de perdurer car il ne peut se trouver plus formateur dans cette histoire que la notion de conte. Ainsi l'incursion de motifs violents se traduit à l'esprit par un Mal conducteur. L'état d'être se heurte à l'état des choses. Le stastime, dans son état premier, intouché, est bouleversé par les mouvements des personnages sous l'emprise du Mal. Ainsi la condition homéostastique se perturbe mais elle se conserve pour voir justement évoluer les formes de transmissions du Mal. L'objet pur se soumet à l'impureté. Le constat rend les marques invisibles. Si un personnage raconte c'est bien pour narrer une histoire en conflit avec ses personnages puis en conflit avec elle-même. Michael Haneke montre en demi-teinte l'événement brutal donnant cette impression du visible vers cette notion d'invisible comme empreinte indélébile, preuve de l'impureté des idées traversant l'esprit après avoir traversé les corps. Ces traces mettent en abyme cette réflexion permanente sur le développement de la violence sous ses formes possibles dans le petit état d'un village. Sous couvert d'un empoisonnement « Herzoguien », peux t-on penser à la folie pure de « Coeur de verre » ? La rigueur du film « Le ruban blanc » tient aussi en cet état de faits englobant l'être et son action en son devenir. La transformation passe désormais par l'oeil du spectateur, tout aussi impuissant que les personnages, mais conserve cette notion de tabou des formes de violences. De garder le fil de la chute nous conduit dans les recoins de l'image là où l'action a lieu comme semble t-il un événement cinématographique. La circulation d'un Mal se véhicule dans l'incroyable tenue des personnages les menant à des dérives abjectes de la violence même. Celle-ci sollicite l'attention. Que se passe t-il désormais dans l'image ? Les formes de violences verbales puis physiques traduisent la violence morale de ce passage. Cette transformation s'inscrit dans une imperfection d'un système, débutant par son éducation. Si l'image suggère la violence, s'elle hésite par le déplacement de l'action dans le plan fixe, elle évoque surtout son glissement vers une forme perverse par son intrusion à l'image. Cette violence s'impose en demeurant présente dans la fugacité de l'instant. Cette possibilité de déplier une histoire oubliée par les replis de son abjection retranscrit un monde qui a existé sous l'emprise de ces maux. De la pensée aux troubles physiques, le scénario déroulé conclut à cette violence invisible et sourde. De notre regard, nous gardons l'appréhension d'un mal contaminant et inexplicable hantant les esprits. Ainsi le sentiment d'inhibition naît de ces souffrances intérieures, enfermées dans ses corps d'enfant.

 

L'innocence perdue face à la perversion.
Les enfants ont cette idée de réagir à la violence par la violence, réponse sourde encore aux non dits. Le spectateur avance dans une relation complexe où le monde adulte domine la pensée. Celui-ci nie dans la négation des sentiments et conclue à une métaphore de l'immaturité voulue et acceptée des idées tronquées. Par cet état de constat, découle une honte d'avoir su et d'avoir vu. Mais le cinéma montre l'immontrable comme probabilité d'une double existence. Gardant l'énigme latente et prolifère, la violence réussit à s'affirmer concrètement. Le but de cette violence n'en paraissant pas pensable le devient et pervertit les personnages, essayant d'atteindre notre regard. Déclenchant cette notion d'abjection de l'histoire même, sans pouvoir sauver un seul personnage, Michael Haneke sauve la mémoire du narrateur croyant à sa bonne foi de raconter. Une insidieuse perception se développe par le mal impur. Mais laissant l'impression de tabous à leurs effets, ne pas voir et ne pas comprendre inciteraient également à s'en accoutumer. Il est difficile donc de vivre cette histoire sans être touché par le génie du cinéaste Michael Haneke. Dans une parfaite maîtrise de son Art, le réalisateur allemand confirme sa rigueur cinématographique à raconter des histoires complexes parfois sans possible résolution d'elles-mêmes. L'impression de vécu dans l'horreur relève de l'image même d'une abyme personnelle de son histoire. L'image suggère cette image-pensée de la violence bien incarnée par les personnages désormais unis par « Le ruban blanc ».

 

The Square de Ruben Ostlund, avec Claes Bang et Elisabeth Moss. Film coproduit par la Suède, l'Allemagne, le Danemark et la France.

Palme d'Or au Festival de Cannes 2017


Le segment où confiance et altruisme ne font qu’un, nous sommes à côté de la plaque, pour y entrer rien ne vaut les idées folles de Christian chargée des expositions. Un ovni cinématographique totalement déjanté s’adressant aux pointus, aux cinéphiles, aux insatiables. The Square fait partie depuis cette décennie 2010-2017 aux Films dédalesques où le cercle est plutôt un « carré » : celui-ci est à bannir. Le seul endroit intègre, un magnifique Musée, avec tout mon respect, se voit bafoué, déréglé. Belle satire donc de la bourgeoisie, avec Happy End, mais plus surprenant, plus étonnant satire du Monde de l’Art Contemporain. Notre anti-héros Christian en apesanteur nous fait vivre une vie sans intérêts alors qu’il a un poste très important au X Royal Museum. Il s’abandonne à sa pauvre vie en fait, en aller et venue, la boucle tourne comme les minutes. Chaque rencontre est faite d’inspirations, celles collatérales mais pas seulement. Beaucoup de SDF dans le Film nous prouvent à quel point le réalisateur tient son sujet des hautes cimes aux bas de l’enfer. Le Cinéma est-il réellement au service de l’Art Moderne ? Plus précisément : que peut l’Art pour l’art ? L’humour s’exprime en actes c’est la totale dégringolade pour notre Buster Keaton des temps modernes. Une fin cependant un peu longue et pas vraiment utile dans les dernières 15 minutes. Alors à la sortie du Film le plus jugé dans notre stratosphère : Effet contraire : Jubilatoire cela donne envie de se propulser dans les plus belles expositions du moment ? Ou dégoût, écoeurement d’une vie presque irresponsable ? Dernière question subsiste sur toutes les lèvres : Palme d’Or ou pas ? Un doute subsiste, marquer d’un coup d’or notre nouveau siècle, notre génération artistique, nos enjeux esthétiques atteints, notre vie même mise en jachère au service de l’Art, nos questions toutes posées, restent les réponses multiples à ramifications, le Prix peut exister pour The Square mais reste à débattre face au Palmarès Cannois notamment 120 battements par minute largement plus apprécié par l’ensemble des Publics.